« Je dirai quelque jour vos naissances latentes », disait Rimbaud, poète rebelle, sale gosse et baroudeur avant l’heure, dans son poème désormais célèbre, « Voyelles », qui donne aux sons des couleurs. Alors pour parler de qui je suis, je laisse la place aux A E I de mon nom, qui mieux que moi sauront dire mon identité.
Stéphanie Chabert
Éditrice
E blanc, comme les pages dès l’enfance grimées de noir, le stylo dispendieux sur des carnets froissés et les rêveries poétiques des campagnes auvergnates, les bancs élimés de la fac de lettres, les études amoureuses sur le fantastique, les imaginaires historiques, la littérature médiévale et les marginaux de la littérature contemporaine, les blocus étudiants des campus trop grands trop fous si beaux et si vivants. De Clermont à Paris, blanche la ligne d’éclosion, couleur des néons et des premiers pas dans l’édition, ses transgressions et ses contradictions, du roman à la Bd, du carnet de voyage aux essais. Blanc comme évident.
Anoir, comme la synthèse absolue de tout ce qui se mélange au sein d’une longue nuit sans lune, l’espace de tous les contraires sans paradoxe, de la liberté, de la curiosité et de l’exploration : littéraire et de milieu modeste, j’aimais aussi le commerce et passer à travers les portes fermées quand l’ascenseur social était cassé : je me suis donc frottée après les lettres aux chaises proprettes de l’ESCP, je me suis passionnée pour la philosophie occidentale et pour les mystiques orientaux, pour la sueur grisée des stades de foot et l’harmonie des courbes de la danse et du yoga. Un orteil toujours hors du rang. Noir comme espoir.
I rouge, comme les horizons lointains et les départs tôt le matin, le voyage, qui pendant plus d’un an m’a guidée à travers des frontières éphémères et anciennes, d’Asie et d’ailleurs, le sac sur le dos et le rouge au cœur, des montagnes de Sibérie aux déserts rocheux de l’Inde, des fantaisies chamaniques de Mongolie aux volutes sacrées de Siddhartha & Shiva. Des langues et des livres mélangés, une aventure à pied, en bus, en stop, qui m’a émerveillée et qui colore désormais chaque livre publié et chaque ateliers d’écriture que pour vous j’ai imaginé. Rouge comme Peau-Rouge.
« Je suis entrée dans le monde du vin sans autre formation professionnelle qu’une
gourmandise certaine des bonnes bouteilles. »
Colette, Vin & Monde
Ma rencontre avec la littérature et plus largement l’écriture a les mêmes saveurs que la première gorgée de vin, un parfum d’étourdissement et d’interdit, des notes parfois fruitées parfois âpres, toujours l’aventure pourtant, renouvelée sans cesse. Une jouissance personnelle et partagée à la fois. Nous sommes nombreux à lire, et si nombreux à (vouloir) écrire… Ma première extase, nichée confortablement quelque part dans les volcans d’Auvergne, fut le conte de Andersen, La Petite Fille aux allumettes, flammèche qui a illuminé des années de lecture compulsive où tout y est passé : de la Sf de Pierre Bordage et de Ursula Le Guin à la littérature de Tolstoï et de Virginie Despentes en passant par Paul Auster, du polar de Patrick Manchette aux essais de Nancy Huston, du Young Adult de Thimothée De Fombelle à la Bd de David Mazzuccheli et de Art Spiegelman… Boulimie littéraire, curiosité des cépages et de leurs couleurs, de leurs rondeurs et des joies inédites qu’ils créaient en moi d’instant en instant. Alors, comme une évidence, j’ai voulu m’engouffrer dans cette histoire incroyable : des études de lettres aux métiers du livre, la littérature est devenue mon métier.
Et depuis dix ans, je suis une éditrice passionnée…
« Pour entendre, il faut être silencieux. »
Ursula Le Guin, Terremer
Le métier d’éditrice est souvent mal connu, l’idée en est vague et les contours plus encore. Chaque éditeur a sa propre définition de son action et il revient donc à chacun d’en donner la forme. Ursula Le Guin, à travers Ged, archimage du continent poétique de Terremer, donne, je crois, la plus belle définition du travail de l’éditeur : faire silence. Pour écouter ce que l’auteur dit derrière les mots. Trouver en lui l’étincelle qu’il a parfois manquée, révéler, dans le creuset accueillant qu’on lui offre, l’identité si singulière de son écriture et de sa personnalité. L’éditeur fait silence, oui, pour permettre à l’auteur de briller. Nous sommes les hommes et les femmes de l’ombre, la lanterne magique de leurs écrits et de leurs désirs, au service d’une création qui ne nous appartient pas, mais que nous brûlons de sublimer pour que le plus grand nombre puisse en profiter.
« Un écrivain ne se définit pas du tout par un certificat,
mais par ce qu’il écrit. »
Mikhail Boulgakov, Le Maître et Marguerite
Si la publication par un éditeur est le certificat qui couronne un Auteur sur le marché des librairies, l’auteur, en revanche, est celui qui dans la vie écrit. Est auteur celui qui ose s’atteler à ses tripes bien accrochées, qui se lance dans l’aventure nu, sans autre idée que ses pensées en bouquets et pas toujours encore structurées, qui a l’audace d’ouvrir son intimité pour la partager, l’audace de croire que l’on peut encore rêver, user du langage pour raconter, témoigner, interpeler. Et si McDonald vous fait miroiter aujourd’hui que vous pouvez venir vous empiffrer « comme vous êtes », soyez sûrs que le seul endroit où vous êtes vraiment vous-même est dans ce geste simple mais puissant de la création. Vous n’avez jamais été aussi flamboyant qu’à ce moment-là, vous existez vraiment, soyez fier.
C’est la trace de cette petite épiphanie sur vos sourires que j’ai à cœur de révéler, atelier d’écriture après atelier.
« Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien.
Rien que moi. »
Frank Herbert, Dune
Si je devais commencer quelque part, c’est là que tout se passerait : au départ est la peur. L’éditeur est celui qui vous aide à passer le cap, vous accompagne, allume une lanterne quand le chemin est un peu sombre et vous écoute patiemment quand la pelote s’emmêle. Vous épauler dans la recherche de votre identité créative, dans l’exploration de votre imaginaire, ciseler votre style, trouver celui qui vous correspond, celui qui entre en résonance avec la personne que vous êtes, rencontrer, enfin, le vous-auteur sous vos masques de tous les jours, c’est la récompense la plus grande qu’un éditeur puisse amasser sur son tracé, comme une petite naissance, un éveil, l’impression d’avoir contribué à quelque chose de plus grand, de plus vrai.
Chaque atelier d’écriture, chaque stage d’écriture, chaque coaching sur-mesure a comme fil rouge cet objectif : l’éditeur n’a pas pour vocation de se substituer à l’auteur, il en est le réflecteur authentique et bienveillant.
« Le confort est une chose fragile,
on le comprend quand il explose. »
Virginie Despentes, Vernon Subutex
À deux, auteur et éditeur, on se tient debout, le regard sur l’horizon, au juste point de jonction entre les étoiles et la terre ferme, en position verticale, position du courage et de l’audace. Car il faut de l’audace pour oser se lancer, et c’est la première gratitude que l’on reconnaît en atelier. De l’audace. Vous qui déjà êtes en train de lire ces mots le prouvez une fois encore, de l’audace, encore et toujours. Bravo.
Et c’est pour tenir debout, moi aussi, que j’ai fait le choix de vivre mon métier hors de l’affiliation à une seule maison d’édition : d’être une éditrice au service de projets, d’auteurs et de maisons (au pluriel) en lesquels je crois, pour lesquels j’ai du respect.